Une étude de recherche évaluée par des pairs est la première à faire état de changements physiologiques lorsque des personnes font l’expérience de l’ASMR.
La publication s’intitule “More than a feeling : ASMR is characterized by reliable changes in affect and physiology” et est rédigée par Giulia Lara Poerio, Emma Blakey et Theresa Veltri de l’Université de Sheffield (Royaume-Uni) et Thomas Hostler de la Manchester Metropolitan University (Royaume-Uni). La recherche a été publiée le 20 juin 2018 dans la revue PLOS ONE.
La publication a fait état des résultats de deux études. La première étude impliquait environ 1000 participants regardant des vidéos et rapportant comment ils se sentaient. La deuxième étude a impliqué environ 100 participants qui ont regardé des vidéos, ont rapporté comment ils se sentaient, et ont eu certaines réponses physiologiques mesurées.
Méthodes de la première étude
La première étude a porté sur 1002 participants (48 % de femmes, âge moyen de 29 ans, fourchette d’âge de 18 à 77 ans) recrutés via les médias sociaux, un site Web spécifique et une liste d’adresses électroniques. 81 % des participants ont répondu “oui” à l’expérience de l’ASMR (auto-détermination).
Les participants ont répondu à une enquête en ligne à distance. L’enquête consistait à regarder des vidéos et à répondre à des questions.
Toutes les vidéos ont été sélectionnées sur YouTube. Chaque participant a regardé une vidéo choisie au hasard dans chacun des trois types de vidéos :
Type de vidéo A : vidéos de contrôle
6 vidéos différentes : 3 avec parole, 3 sans parole
Le contenu était similaire à celui des vidéos ASMR (instructions et démonstrations parlées) mais sans les déclencheurs ASMR typiques.
Type de vidéo B : vidéos ASMR avec parole
6 vidéos différentes : 3 voix féminines, 3 voix masculines
Le contenu comprenait des jeux de rôle, des chuchotements, des mouvements des mains et une attention personnelle.
Vidéo de type C : vidéos ASMR avec sons (sans parole)
6 vidéos différentes
contenu : pliage d’origami, grattage, mouvements lents.
Les questions de l’enquête portaient sur les points suivants :
- Sensation de picotements pendant les vidéos.
- Sentiments agréables d’excitation et de calme.
- Sentiments désagréables de stress et de tristesse.
- Sentiments d’excitation sexuelle et de connexion.
- Préférences et expériences en matière de déclenchement de l’ASMR.
- Aspects de la personnalité, des tempéraments, des styles d’attachement et de l’empathie.
Résultats de la première étude
Réponses aux questions de l’enquête sur les préférences et les expériences ASMR. Réponses du groupe ASMR (n=813).
Âge moyen d’apparition de l’ASMR : 15 ans. Le participant moyen a déclaré être déclenché par environ 50 % des déclencheurs d’une liste de 13 déclencheurs ASMR courants.
Les 3 principaux déclencheurs de l’ASMR (% ayant sélectionné le déclencheur)
- Parler doucement (74 %)
- Jouer avec les cheveux ou les brosser (73 %)
- Chuchotement (70 %)
Les 3 principaux déclencheurs de l’ASMR (% ayant choisi le déclencheur)
- Observer/écouter quelqu’un manger (20 %)
- Claquement de lèvres (30 %)
- Bruits d’eau/de liquide (36 %)
Regardez des vidéos ASMR pour déclencher l’ASMR :
- Tous les jours (1x ou plus) : 35%
- Hebdomadaire (1x – 6x) : 35%
- Mensuel (1x-3x) : 9%
- Moins d’une fois par mois : 2%
- Jamais : 81% (totaux des pourcentages ci-dessus)
Réponses aux questions de l’enquête sur la personnalité, les tempéraments, les styles d’attachement et l’empathie. Réponses du groupe ASMR (n=813) et du groupe non-ASMR (n=189) [ces résultats ne sont visibles qu’en accédant au lien/document “Informations complémentaires” sur la page Web de l’article du journal] :
Le groupe ASMR et le groupe non-ASMR ne diffèrent pas significativement en ce qui concerne :
- l’extraversion
- stabilité émotionnelle
- l’ouverture à l’expérience
- le tempérament d’approche ou d’évitement
- le style d’attachement
- niveaux d’empathie
Le groupe ASMR, comparé au groupe non-ASMR, était significativement :
- moins agréables
- moins consciencieux
Citation des auteurs : “Plutôt que de refléter quelque chose sur la nature de l’ASMR, nous soupçonnons que ces différences reflètent la nature consciencieuse et agréable des volontaires non ASMR”.
Réponses aux vidéos ASMR (par rapport aux vidéos de contrôle). Réponses du groupe ASMR (n=813) et du groupe non-ASMR (n=189)
Fréquence des picotements
- aucun changement (groupe non ASMR)
- forte augmentation (groupe ASMR)
Excitation
- petite diminution (groupe non ASMR)
- petite augmentation (groupe ASMR)
Calme
- petite augmentation (groupe non ASMR)
- forte augmentation (groupe ASMR)
Stress
- petite diminution (groupe non ASMR)
- forte diminution (groupe ASMR)
Tristesse
- faible diminution (groupe non ASMR)
- diminution moyenne (groupe ASMR)
Excitation sexuelle
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Pas de changement (groupe ASMR)
Comparaison des réponses aux vidéos ASMR parlées et sonores pour les personnes du groupe ASMR :
Vidéos ASMR parlées
- augmentation des picotements
- augmentation du calme
- diminution du stress
- diminution de la tristesse
- stimulation du sentiment d’appartenance
Vidéos ASMR sonores ne stimulent pas le sentiment d’appartenance.
Quelques points clés de la première étude
Les vidéos ASMR :
- augmentent les picotements, l’excitation et le calme
- diminuent le stress et la tristesse
- n’affectent pas l’excitation sexuelle
Les vidéos ASMR parlées stimulent des réponses plus fortes que les vidéos ASMR sonores.
Méthodes de la deuxième étude
La deuxième étude a porté sur 110 participants (58 % de femmes, âge moyen de 26 ans, fourchette d’âge de 18 à 59 ans) recrutés par le biais des médias sociaux, d’une liste d’adresses électroniques et du bouche à oreille. 50 % des participants ont ressenti l’ASMR (auto-déterminé). L’étude a comparé les résultats entre un groupe ASMR (n=55) et un groupe non-ASMR (n=55).
Les participants se sont rendus à un endroit désigné, ont répondu à une enquête en ligne (qui comprenait le visionnage de vidéos) et ont fait mesurer leurs réponses physiologiques.
Les vidéos de l’étude duraient 3 minutes et étaient visionnées par le groupe ASMR et le groupe non-ASMR. Les membres des deux groupes ont été jumelés afin de regarder les mêmes vidéos (à des moments différents). Il a été demandé au groupe ASMR de s’abstenir de regarder des vidéos ASMR 3 jours avant l’étude afin d’augmenter la sensibilité ASMR. Chaque participant a regardé une vidéo de chacun des types suivants (3 vidéos au total) :
Type de vidéo A : Vidéo de contrôle
1 vidéo de contrôle de l’étude 1
Sélectionnée parce qu’elle a stimulé le moins de picotements et le plus de sentiments/affects neutres dans l’étude 1
Le contenu était un chef cuisinier montrant comment faire des pâtes (avec contact visuel et mouvements de main non délicats).
Vidéo de type B : vidéo ASMR standard
1 vidéo ASMR de l’étude 1
Sélectionnée parce qu’elle a stimulé le plus de picotements et de sentiments/affects positifs dans l’étude 1.
Le contenu était celui d’une artiste ASMR pliant des serviettes et parlant d’une voix russe douce avec des mouvements de main délicats.
Vidéo de type C : vidéo ASMR auto-sélectionnée
1 vidéo ASMR sélectionnée par chaque personne du groupe ASMR
Les participants ont choisi une vidéo qui les a fortement incités à ressentir l’ASMR.
Les réponses physiologiques ont été mesurées pendant le visionnage des vidéos et pendant les moments de référence. Ces réponses comprenaient
- Fréquence cardiaque (bpm via 1 capteur de doigt)
- Conductance cutanée (microS via 2 capteurs digitaux)
Les questions de l’enquête ont été posées immédiatement après le visionnage de chacune des trois vidéos et portaient sur les points suivants :
- Sensation de picotements pendant les vidéos.
- Sentiments agréables d’excitation et de calme.
- Sentiments désagréables de stress et de tristesse.
- Sentiments d’excitation sexuelle et de connexion.
- Comparaison de l’ASMR pendant cette étude et dans la vie quotidienne.
Résultats de la deuxième étude
Réponses aux vidéos ASMR (comparées aux vidéos de contrôle). Réponses du groupe ASMR (n=55) et du groupe non-ASMR (n=55).
Fréquence des picotements
- faible augmentation (groupe non ASMR)
- forte augmentation (groupe ASMR)
Excitation
- petite diminution (groupe non ASMR)
- petite augmentation (groupe ASMR)
Calme
- aucun changement (groupe non ASMR)
- augmentation moyenne (groupe ASMR)
Stress
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Pas de changement (groupe ASMR)
Tristesse
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Pas de changement (groupe ASMR)
Connectivité
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Pas de changement (groupe ASMR)
Éveil sexuel
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Pas de changement (groupe ASMR)
Fréquence cardiaque
- Diminution moyenne de 2,0 bpm (groupe non ASMR)
- Diminution moyenne de 3,4 bpm (groupe ASMR)
Conductance cutanée
- Pas de changement (groupe non ASMR)
- Augmentation de 0,3 microS (groupe ASMR)
Comparaison des réponses à la vidéo ASMR standard et à la vidéo ASMR auto-sélectionnée pour les personnes du groupe ASMR :
Vidéo ASMR standard (même vidéo pour tous les participants)
- augmentation du calme
- diminution plus importante du rythme cardiaque
Vidéos ASMR auto-sélectionnées (vidéo spécifique pour chaque participant)
- fréquence accrue des picotements
- augmentation de la conductance de la peau
Quelques points clés de la deuxième étude
Vidéos ASMR :
- augmentent les picotements, l’excitation et le calme
- diminuent le rythme cardiaque
- n’affectent pas l’excitation sexuelle
Vidéos ASMR auto-sélectionnées stimulent les picotements et la conductivité cutanée mieux que les vidéos standard, mais pas le calme ni la fréquence cardiaque.
Réflexions sur l’ensemble du document de recherche
Il y a ici beaucoup de données qui permettent de mieux comprendre l’ASMR. Ces résultats peuvent également être atténués parce que le groupe ASMR a signalé dans l’étude 2 que leur ASMR était diminué dans cette condition d’étude par rapport à la vie quotidienne. Par conséquent, les effets de l’ASMR en dehors d’un environnement d’étude peuvent être plus forts.
La diminution de la fréquence cardiaque en réponse aux vidéos ASMR est l’un des résultats clés et nouveaux. Cela coïncide bien avec l’idée qu’un sentiment de relaxation s’accompagne souvent d’une diminution de la fréquence cardiaque. Comme le soulignent les auteurs, cela confirme également que l’ASMR et les frissons musicaux/esthétiques sont différents, car la fréquence cardiaque a tendance à augmenter pendant les frissons.
Les auteurs soulignent également que la diminution de la fréquence cardiaque pendant l’ASMR est égale à la diminution de la fréquence cardiaque observée dans les essais cliniques impliquant la réduction du stress par la musique pour les maladies cardiovasculaires. En outre, la diminution de la fréquence cardiaque pendant l’ASMR est plus importante que la diminution de la fréquence cardiaque observée dans les interventions de pleine conscience pour réduire l’anxiété. Cela confirme la valeur clinique potentielle de l’ASMR.
Il est également intéressant de noter que le groupe non ASMR a signalé une augmentation du calme et une diminution du stress en réponse aux vidéos ASMR dans l’étude 1, et qu’il a présenté une diminution de la fréquence cardiaque en réponse aux vidéos ASMR dans l’étude 2. Bien que ces réponses soient moins importantes que celles du groupe ASMR, elles confirment que les vidéos ASMR sont relaxantes pour les personnes qui ne ressentent pas l’ASMR.
Et les résultats de la conductance de la peau ? Une augmentation de la conductance de la peau est généralement un marqueur d’excitation, pas de relaxation. Je pense que certains détails de leur étude peuvent expliquer cette divergence potentielle. L’étude 2 a montré que les vidéos auto-sélectionnées étaient plus efficaces pour stimuler les picotements et augmenter la conductance cutanée, mais pas pour diminuer la fréquence cardiaque.
Les picotements peuvent être les moments “euphoriques” de l’ASMR qui sont responsables de l’effet “d’excitation”, mais le temps qui précède et qui suit les courts moments de picotements peut être les moments “relaxants” de l’ASMR. Ainsi, une vidéo qui stimule des picotements plus forts (vidéos auto-sélectionnées) peut stimuler une excitation/euphorie plus forte, et une vidéo qui stimule légèrement mais régulièrement les picotements (vidéos standard) peut stimuler une relaxation physiologique plus forte.
Il serait intéressant d’observer le chevauchement de la chronologie des picotements, des modifications de la conductance de la peau et des modifications de la fréquence cardiaque. Il se pourrait que la variation de la fréquence cardiaque soit une meilleure mesure de l’ensemble de la période de relaxation, mais que la conductance de la peau soit un indicateur plus précis des moments spécifiques des picotements.
Dans l’ensemble, bravo aux auteurs pour cette formidable montagne de données sur l’ASMR, qui constitue un précieux tremplin pour la compréhension et l’application potentielle de l’ASMR.